Réforme de l’orthographe : démocratisation de la langue ou aggravation des inégalités sociales ?

Orthographe : ne prenons pas la conséquence pour la cause

Par Jean-Paul Brighelli

Le Figaro du 5 septembre publie sur l’orthographe -sujet d’actualité s’il en fut, surtout depuis que François de Closets a avoué ne rien y comprendre- un article de votre serviteur.

Chacun a son idée sur la question, depuis les puristes du trait d-union jusqu’aux laxistes du langage SMS. Alors, déchirez-vous : un blog hanté d’« Orthoprofs » ne pouvait rester à l’écart d’une polémique aussi violente…

Pour parler sans ambiguïté (1), le débat sur l’orthographe est le serpent de mer des cinq derniers siècles. L’invention de l’imprimerie a généré le désir d’unifier les graphies, et de les différencier pour éviter tout contresens exorbitant. D’Etienne Dolet à Peletier du Mans en passant par Meigret ou Estienne, les grammairiens du XVIe siècle n’ont eu de cesse de proposer des réformes souvent inspirées de l’italien, afin d’aligner la graphie sur la prononciation. Les codificateurs du XVIIe siècle, Vaugelas ou Furetière, eurent à cœur de rendre la langue française aussi digne que celles qui l’avaient précédée -le latin, principalement. Et l’Académie s’efforce alors de polir la langue afin de donner à la monarchie absolue le véhicule culturel qu’elle exigeait : le code est aussi un corset culturel et politique, et le « bon usage » est la façon de parler de « la plus saine partie de la Cour », conformément à la façon d’écrire de « la plus saine partie des auteurs du temps ».

Toute réforme de l’orthographe doit être entendue sur ce plan-là. Si Voltaire préconise la graphie en –ai des imparfaits, c’est qu’il appartient aux « gens de goût » -l’expression est déjà moins inféodée à une caste sociale- contre les tenants d’usages barbares antérieurs (Rousseau, par exemple : les polémiques orthographiques reflètent les inimitiés personnelles). Les aristocrates au pouvoir écrivent comme ils l’entendent ? Mais la bourgeoisie triomphante, au début du XIXe siècle, entend gagner aussi au niveau orthographique : l’invention de la dictée est une manœuvre démocratique, et l’égalisation des graphies, quoique moins sanglante, vaut bien la machine à raccourcir de Guillotin. La centralisation napoléonienne s’accompagne nécessairement d’une unification linguistique.

L’expansion très rapide de la presse, dans la première moitié du XIXe siècle, contribue encore à généraliser des règles qui n’étaient pas connues de tous, et porte sur la place publique les débats académiques. Ce sont des journaux qui, au tout début du XXe siècle, combattent victorieusement le projet gouvernemental de simplification de l’accord des participes.

POUR ETRE COMPRIS, FRANÇOIS DE CLOSET ECRIT SANS FAUTE

L’orthographe fut et demeure un mode de clivage socio-professionnel, et tant que nous ne changeons pas de système ou de civilisation, il y a fort à parier que les modifications resteront anecdotiques -en retard même sur l’usage, qui disait « évènement » quand on écrivait encore « événement ». Rien d’étonnant à ce que des linguistes issus de Mai 68 (André Chervel, par exemple) fassent de « l’ortografe » un principe « bourgeois »…

Quoi qu’il en soit, les bélîtres du pédagogisme qui ont à peu près mis à genoux l’enseignement français n’avaient pas d’autre souci, et la méthode idéo-visuelle d’apprentissage de la lecture, largement responsable des dysorthographies actuelles, est pré-supposée -et c’est bien à tort- plus « égalitaire » que le b-a-ba bourgeois, alors qu’elle rajoute des inégalités aux injustices.

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